Le génocide rwandais :

Plus quŽun fond de commerce, il est un rite annuel de commémoration ambiguë, humiliante et révoltante !

 

 

 

Il y a huit ans, jour pour jour, le Rwanda est sous la botte du FPR.Ce FPR fête en »liesse populaire »en juillet ,sa victoire remportée dans le sang et les pleurs.Avènement au pouvoir à saluer ou prise de conscience dŽun naufrage collectif, voire dŽun suicide collectif ?La question embarrasse le FPR et ses alliés internes et externes qui animent un pouvoir sous perfusion.En tout état de cause ,ce nŽest ni la démocratie, ni la réconciliation nationale qui sont célébrées, mais un régime minoritaire quŽune guerre dŽagression a accouché dans la douleur et pour lequel la réconciliation relève de la mission impossible.

LŽindignation ,la révolte et lŽinquiétude que beaucoup de Rwandais partagent avec de nombreux étrangers très attachés au respect de la personne humaine, reposent sur le fait que, dans ce métier impudique quŽest la politique, lŽobsession principale de sŽemparer du pouvoir et de sŽy maintenir contrarie le plus souvent la cause quŽon porte et plaide ainsi que le projet de société quŽon propose.Le Front Patriotique Rwandais(FPR) au pouvoir à Kigali depuis Juillet 1994 ne démentira pas cette réflexion sur la politique quŽil conduit dans un pays » génocidé », moralement et matériellement détruit par un conflit plus politique quŽethnique.

En effet, de 1995 à 2002 ,cela fait aussi sept ans que le régime du FPR célèbre lŽanniversaire du « génocide des Tutsi et, dans une moindre mesure ,celui des massacres de « Hutu modérés ». Cette commémoration annuelle est devenue une habitude, non pas pour honorer la mémoire de tous les disparus mais celle de certaines victimes de la barbarie humaine.Cette commémoration devient de plus en plus un rite, voire une culture au service de la politique, de la géopolitique et de lŽéconomie. Il sŽagit bien entendu dŽun fait historique, de triste mémoire et, par dessus tout douloureux. Mais il nŽen reste pas moins un sujet dŽextrême sensibilité pour certains et un sujet tout autant plus irritant quŽindigne pour les autres. Ainsi, après lŽhorreur de la guerre dŽagression, lŽespoir nŽa pas suivi. Plus que jamais ,Hutu et Tutsi se regardent lŽun lŽautre en mal personnifié et ce, pour plusieurs raisons.

Chaque célébration laisse en effet aux uns lŽamertume dŽune destruction non réparée, aux autres le sentiment dŽune culpabilité qui leur est imposée. CŽest un climat délétère où ,chaque année, le désir ardent de réconciliation et » le mea culpa » forcé se retrouvent , la politique interposée, nez à nez, et parfois sŽaffrontent , mais dos à dos. Chaque année ,lŽunité nationale prêchée en sort plus quŽabimée.Le temps, au lieu de refermer les blessures, en élargit les ouvertures. Et le capital énorme gagné par le FPR au lendemain de sa victoire militaire ainsi que son crédit politique à lŽextérieur sŽamincissent.

La mémoire ,telle quŽelle est célébrée ,ne répond en effet à aucun idéal et, à plus forte raison ne satisfait pas à tout le monde. Les Hutu et les Tutsi hier en conflit armé sont encore en guerre idéologique.Le terme « génocide » et les chiffres élastiques de Tutsi massacrés correspondraient plus à une hypothèse de combat politique au service du pouvoir du FPR quŽà la volonté politique dŽexorciser les maux. Pour se maintenir au pouvoir, le FPR divise ainsi pour régner longtemps.Hutu et Tutsi qui affrontent cette réalité vivent séparés et catégorisés entre «  présumés coupables » , » rescapés Tutsi du génocide et rescapés Hutu des massacres ».Ces mots ne suffisent pas pour soigner ces maux !Car le coupable désigné est bien entendu , une majorité globalement exclue .Toute tentative de les rapprocher est vite étouffée par cette guerre idéologique qui pivote autour de cette tragédie humaine.  »Certaines initiatives dont celle de Valens Kajeguhakwa(Tutsi ex-FPR) » fustigée par les extrémistes de tous bords en sont un exemple éloquent .Mais la résignation ne résout non plus rien !Les cas de « Hutu modérés »alors au pouvoir et vus à lŽétranger comme des « icônes de la réconciliation »sont dans le collimateur du FPR.Les poursuites engagées contre ces Hutu dont des ex- premiers ministres et Ministres du régime FPR et surtout lŽ ex-président de la République, Pasteur Bizimungu, accusés variablement , soit de corruption ou d atteinte à la sécurité de lŽEtat, soit de crimes liés ou appelant au génocide , déroutent et déconcertent !L`unité et la réconciliation quŽils étaient sensés incarner et quŽils auraient même prêchées et enseignées en zélateurs, a volé en éclat. Nul au Rwanda, y compris les hommes et les femmes au pouvoir ainsi que la précédente génération de politiciens , nŽose plus affronter et dénoncer de vive voix cette dégradation et cette exclusion qui prennent de lŽampleur.Cette situation est-elle plus le fait dŽune seule ethnie que dŽune autre ?Personne ne peut répondre à cette question, et ce par peur de la violence répressive qui nŽépargne non plus les observateurs indépendants de cette dure tragédie .Pire encore, nul nŽose stigmatiser lŽimmoralité de «  la guerre de libération Tutsi » qui, en transformant dans sa durée des êtres humains en diables poursuit son œuvre de déshumanisation même en dehors du Rwanda. Parce que les « héros » de cette guerre sont des super-puissants qui ont droit de vie et de mort sur les faibles ,qui contrôlent et manipulent lŽopinion.

Face à lŽopinion universelle qui lŽ interroge, la nouvelle génération de Hutu et de Tutsi, opère malheureusement une fuite en avant.Aigrie et perdue, elle sŽes- time ainsi héritière dŽactes diaboliques et cruels.Mais des divergences surgissent quand il sŽagit de pointer du doit le concepteur de cet héritage diabolique et cruel.Tout dépend en effet de la consommation de politique interne ou externe. Ainsi les portes-parole de la minorité Tutsi ,quand ils nŽincriminent pas le colonisateur, ils culpabilisent les Hutu « extrémistes ».La majorité HUTU, quant à elle, accuse le » mythe fondateur Tutsi » centré sur les théories racistes de la supériorité et de lŽinfériorité des ethnies ou des races, légitimées et renforcées par le pouvoir colonial.Et de souligner que celui-ci a découvert au Rwanda cette relation et ces incompatibilités qui se déchirent même après presque 50 ans de décolonisation .

QuŽà cela ne tienne !Malgré la politique dŽunité et de réconciliation -qui nŽest que pure propagande-, le fossé immense qui existe entre Hutu et Tutsi sŽélargit . Rares sont les preneurs de décisions qui ont le courage de vouloir à tout prix le réduire, voire lŽeffacer. Leurs ancêtres nŽétant plus de ce monde, cŽest à eux cependant de le faire, de le réaliser .Le Tutsi, hier prétendument « objet de discrimination intolérable sous des Républiques Hutu »,rend aujourdŽhui aux Hutu la monnaie de sa pièce.Il semble quŽil bénéficie des soutiens !Pourtant, aucun bailleur de fonds nŽest prêt à financer un tel projet de régulation de la vie publique au Rwanda. Pour éclairer le futur incertain de ce pays, il suffit dŽobserver ces tragiques moments présents érigés en système de valeurs que la conjoncture politique ainsi créée dans toute la région gâche, mais dont les hommes au pouvoir à Kigali savent tirer dŽénormes profits.A moyen ou à court terme, le pouvoir vient de prouver quŽil dispose de certains moyens pour augmenter le potentiel de haines et dŽexclusion et pour déstructurer toute la région. Tout appel au bon sens, à la volonté politique dŽenvisager un créneau dŽémancipation mentale et morale, se heurte à ce contexte trop chargé qui invite pourtant Hutu et Tutsi à donner le meilleur dŽeux-mêmes pour préparer et construire un avenir meilleur pour leur progéniture au milieu de peuples voisins méfiants et médusés, voire hostiles.

A mon humble avis , la commémoration annuelle du génocide reste ambiguë , humiliante et révoltante. Elle ne peut pas contribuer à cet élan de solidarité pour affronter ensemble cette fatalité.En effet ,le Rwanda , ses voisins et lŽHumanité entière nŽ ont face dŽ eux que deux symboles manichéens :dŽune part des libérateurs qui « ont arrêté le génocide ».Ce génocide, selon les mêmes libérateurs , aurait paradoxalement eu lieu. Cette ambiguïté, cette amalgame, permettent au FPR et à ses dirigeants non pas de réussir mais de se tromper sur la suite .Car, canaliser lŽhostilité et les inquisitions aux seuls » Hutu présumés coupables » ;ces individus condamnés à éliminer par tous les moyens autant justes quŽinjustes peut se retourner contre eux. Ce jeu cynique nŽinnocente pas le FPR et son régime. Au contraire ,il lui coupe lŽavenir .

 

Les circonstances de la victoire du FPR ne peuvent justifier ni la joie et la sympathie des uns ,ni le malheur et le rejet des autres. La crise morale est trop profonde pour quŽune partie du Peuple en fasse une épopée.Non ,cŽest une façon inacceptable de détourner lŽattention du monde libre , dŽ exploiter avec habileté un drame en cette période marquée par le terrorisme international quŽil faut balayer de la civilisation universelle. Si tout justifie que les terroristes soient dans lŽœil du cyclone ,rien ne justifie cependant quŽune poignée de fantômes«ces infiltrés de lŽ ALIR »  fichés par le FBI et traqués depuis des années par l`APR soient confondus avec tout un peuple innocent qui nŽa plus de liberté même surveillée . Tutsi, Hutu et même tout expatrié qui sŽécartent de cette donne nouvelle en critiquant cette inquisition sont des traîtres ,des ennemies du Rwanda. En agissant de la sorte , le pouvoir se trompe de réponse. Il oublie que la seule traque des » génocidaires « ou des individus présumés comme tel ne peut pas résoudre la crise profonde que subit le Rwanda et qui le réduit à un niveau politique le plus bas.

Comble dŽironie ! Comme si réellement le FPR est le sauveur qui a offert au Rwanda des hommes providentiels ,il serait aussi le rempart contre le terrorisme au Rwanda et en Afrique centrale ! Il nŽagirait pas seul surtout quand on observe la campagne virulente dont sont lŽobjet tous les réfugiés parmi lesquels on retrouve aussi des dissidents Hutu et Tutsi du régime de Kigali ,qui grossissent les rangs des opposants et des exclus .CŽest la chienlit au sein du pouvoir auquel des « Hutu de service »sont associés ! Le troisième acteur invisible mais non moins présent et influent souffle sur les braises au nom de la civilisation et dŽun certain nouvel ordre moral de lŽHumanité.On le nomme « Opinion publique internationale ». Celle-ci , floue et mue au gré des humeurs , reste une protectrice circonstancielle des libérateurs, de lŽexpiateur ;bref de tous « les rescapés ». Elle ne serait pas encore prête à aider les Hutu et les Tutsi à expier eux-mêmes, à travers un dialogue social, leurs pêchés communs et soigner leur image dans le concert des Nations. Elle ne veut non plus écouter la majorité des exclus qui a besoin dŽabsolution pour enfin respirer, se sentir homme digne de sa Patrie et de lŽHumanité !

Le leur demander tous signifie « négationnisme et révisionnisme » et prolonger le malheur du Tutsi et du « Hutu modéré »par opposition aux exclus qui souffrent des accusations quŽils ne méritent en aucun cas, pas plus que en tout cas ceux qui les formulent.Une part minoritaire du Peuple Rwandais et son régime protégé jouent à merveille cette carte politique et font semblant dŽignorer le pourquoi, le comment ce Peuple qui partageait tout, ne parvient pas à identifier et à terrasser le Hercule ethnique ou raciste qui fait main basse sur le Rwanda et sur toute la région. La main qui tire les ficelles et tient au bout du fil, le destin de ce Rwanda en désarroi , ne serait quŽun iceberg dans un océan de problèmes et dŽincompréhensions non résolus gravitant autour de certains chefs de clans. Cette puissante main a eu tort et a toujours tort de croire que sa politique est le seul remède ainsi que le seul rempart contre tout autre naufrage collectif.

Contre tous, les gouvernants ne veulent pas, pour rester maîtres absolus de ce petit espace de privilèges, briser les concepts dŽhégémonie absolue et de re-colonisation, ces mythes fondateurs hérités des temps révolus et qui ,au jour dŽaujourdŽhui, déchirent beaucoup plus quŽavant, lŽinconscient humain de la majorité des populations de la région.Le prétendu plan dŽextermination dŽune ethnie dont les preuves sembleraient surréalistes confirme cette politique sectaire qui réprime sans sourciller.Et « le génocide » du printemps 1994, considéré ici et là comme aboutissement et- quel cynisme -comme   prix insupportable payé  dŽune  «  guerre globale de  conquête»,préparée de belle lurette, sacralise cet état morbide et maladif.Il est désormais un mur infranchissable . Le régime issu de cette guerre, au lieu de célébrer la réconciliation, lance des boulets rouges ,à lŽintérieur comme à lŽextérieur du Rwanda, sur des populations civiles qui nŽaspirent quŽ à la paix civile et à la coexistence pacifique et authentique.

« Chasser le naturel ,il revient au galop »,dit –on !A mon avis, fatalististe peut-être, il nŽy aura pas de lutte finale contre les préjugés qui piétinent lŽhumanité et la morale en lŽhomme au Rwanda et dans la sous -région. Et pour paraphraser le Général de Gaule, les deux ethnies, Hutu et Tutsi, finiront, si ce nŽest déjà fait, par se faire détester de tout le monde.Il leur faut un sursaut national et autoriser, voire inventer la mémoire de toutes les victimes, facteur de reconnaissance et de respect mutuels..Il faut que le Peuple Rwandais s Žy engage et se le dise haut et fort .Car refuser ou minimiser les conséquences de la guerre et le meurtre ignoble dŽun Chef dŽEtat en exercice relèvent de ces comportements de haine et de cette frénésie criminalistique qui rabaissent encore le Rwanda au niveau le plus animal .En faire un tabou de lŽHistoire, cŽest faire en sorte que le pouvoir issu de ce drame soit fondé sur un faux ! LŽavenir du Rwanda et du Peuple Rwandais, réconcilié avec lui-même et ainsi quŽ avec ses voisins, tous en besoin urgent de la paix, en dépend ! La vie humaine est sacrée.Elle doit redevenir un des droits le plus élémentaire et plus jamais une affaire politique !Si non, le Rwanda , incapable dŽinterroger la morale sur ce sujet, se livre à une course infernale dŽautodestruction.

Le pouvoir du FPR, déjà rompu à la ségrégation des morts ,ne justifie-t-il lui-même son crime et crée par conséquent ,chaque jour ,des citoyens désespérés, voire des monstres ?Il rate son objectif prioritaire ;celui de sauvegarder les Hutu et les Tutsi qui tous craignent et se méfient des « extrémistes » de tous bords.Et partant ,si rien ne change dans lŽimmédiat, la reconstruction du pays ,lŽunité et la vraie réconciliation relèveront, encore une fois, de la mission impossible… Pour tenir encore debout, le Rwanda a besoin dŽune autre politique ;celle qui sŽincline et devant la mémoire de tous ceux dont la vie a été enlevée et devant les cœurs brisés de tous ceux qui ont encore envie de survivre. CŽest le seul moyen de remettre de lŽordre, de lŽharmonie et de lŽéquilibre dans la vie publique au Pays des » Mille Collines » et chez ses voisins.

Alphonse Bazigira.

Journaliste Politique.